Au château
de Coft, le Doyen et sir Cathcart étaient assis dans la
bibliothèque, une carafe de brandy à moitié vide sur le guéridon
à côté d'eux, à remâcher amèrement le souvenir de bien des
gloires passées.
- La ruine de l'Angleterre. Ces foutus socialistes !
Gronda sir Cathcart. Ils ont fait de ce pays une société de
bienfaisance. On ne gouverne pas une grande nation avec de bonnes
intentions. Foutue folie ! De la discipline, voilà ce qu'il faut au
pays. Une bonne dose de chômage pour ramener la classe ouvrière à
la raison.
- Ca n'a
plus l'air de marcher en ce moment, dit le Doyen avec un long soupir.
Autrefois les dépressions avaient un effet très salutaire.
-
C'est la faute des Allocations. On gagne plus à ne rien faire qu'à
travailler. Grossière erreur. Qu'on leur fasse un peu tirer le
diable par la queue et tout rentrera dans l'ordre.
- Ce qu'on dit toujours, c'est que les femmes et les
enfants souffrent, dit le Doyen.
-
Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à ça, continua le général.
Rien de tel qu'une femme qui a faim pour donner du courage à un
homme. Ca me rappelle un tableau que j'ai vu autrefois. Tout un tas
de chasseurs autour d'une table qui attendent pour dîner, et la dame
de la maison qui rentre et qui soulève le couvercle du plat. Sacré
bon sang de bonsoir ! Belle femme, belle peinture ! Un peu de brandy
?
- C'est très aimable à vous, dit le Doyen, en tendant
son verre.
-
L'ennui avec ce... Godber Evans, c'est qu'il est d'origine modeste,
dit sir Cathcart, après avoir rempli leurs verres. Ne comprend rien
aux hommes. Pas de vieille famille de campagne derrière lui. Pas de
qualités de chef. Il faut avoir vécu avec les animaux pour
comprendre les hommes, les travailleurs, il faut savoir les
entraîner. Un coup de cravache sur le derrière quand ils font mal,
une caresse dans le cou s'ils font bien. Pas la peine de leur bourrer
le crâne avec des idées qu'ils sont incapables de comprendre. Pas
le sens commun, toute cette éducation.
-
Je suis tout a fait d'accord avec vous dit le Doyen. Donner aux gens
une éducation au-dessus de leur condition a été une des grandes
erreurs de ce siècle. Ce dont le pays a besoin, c'est d'une élite
éduquée. Celle qu'il a pu avoir, en fait, au cours des trois cents
dernières années.
- Trois repas par jour, un toit au-dessus de leur tête,
et les manants n'ont rien à demander de plus. C'est des gars solides
qu'il nous faut. Dans ce système, il n'y a que des lavettes. La
société de consommation, c'est bien ça. Comment consommer ce qu'on
a pas fabriqué ? Foutue chienlit.
(Porterhouse
ou la vie de collège. Tom Sharpe – Ed. Belfond)
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