samedi 5 décembre 2015

L'auto (Roland Dubillard)


UN : Vous entendez quelque chose ?
DEUX : Non.
UN : C’est ce qu’il faut.
DEUX : Vous êtes sûr que nous roulons ?
UN : C’est une splendeur, cette automobile. Bien sûr que nous roulons. Ce n’est tout de même pas les maisons qui roulent, et vous voyez bien qu’elles défilent.
DEUX : De ce côté-là, oui.
UN : De l’autre côté, aussi.
DEUX : Ah oui... de l’autre côté aussi. Oui, nous roulons, pas de doute. Ce que c’est agréable. Il suffirait de fermer les yeux, on se croirait dans son lit.
UN : Vous pouvez. Moi, il vaut mieux pas que je les ferme.
DEUX : Non. Vous êtes prudent, hein ? Je n’aurais pas cru.
UN : Prudent, prudent... j’irais plus vite, s’il n’y avait pas cet imbécile de triporteur, devant nous.
DEUX : Doublez-le.
UN : Peux pas, la rue n’est pas assez large.
DEUX : Je ne savais pas que vous aviez votre permis de conduire.
UN : Je ne l’avais pas. C’est comme la voiture, je l’ai gagnée, il y a quinze jours.
DEUX : Mais dites-moi, vous les faites tous, les concours.
UN : Non, celui-là, c’est ma femme. C’était un concours pour les sous-vêtements féminins, vous savez ? La gaine Starlett. Seulement, comme du côté chaussettes du docteur Qui-rit, c’est moi qui le faisais, le concours pour gagner l’auto, le permis de conduire on l’a mis à mon nom.
DEUX : C’est bien, les concours. Moi, en ce moment, je fais celui du fromage qui fait floc, vous savez ? Le fromage immangeable.
UN : Qu’est-ce que c’est, le gros lot ?
DEUX : Un fauteuil à l’Académie française.
UN : Ça vaut la peine, c’est du bon fauteuil.
DEUX : Oh, mais dites donc ! Vous gazez, hein ?
UN : Oui, je fais une pointe ; quand le compteur marquera 150, vous me
préviendrez. En plein Paris, ce n’est pas prudent de dépasser 150.
DEUX : Ben, qu’est-ce qu’il est devenu, le triporteur ?
UN : Le triporteur ? Oh, je lui ai passé dessus. Sans ça, on n’en finit pas.
DEUX : J’ai rien senti.
UN : Vous pensez ! Une automobile comme ça, avec les amortisseurs qu’elle a dans tous les coins, on écraserait son père et sa mère sans que ça fasse une secousse. »

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